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Quel drôle de spectacle de voir une couvée de canetons autour d'une poule ! – Écoutez donc l'histoire de Sophie Canétang, qui ne pouvait plus supporter que la fermière l'empêche de couver ses œufs.

Sa belle-soeur, Mme Rébéca Canétang, était tout à fait prête à laisser quelqu'un d'autre couver ses oeufs à sa place : « Je n'ai pas la patience de rester sur un nid pendant vingt-huit jours ; et toi non plus, Sophie, tu les laisserais refroidir, tu sais bien que tu ne garderais pas la position tout ce temps. – J'ai décidé de couver mes œufs, je les couverai tous toute seule, rétorqua Sophie Canétang en caquetant.

Elle essaya de cacher ses œufs mais sans succès, il se trouvait toujours quelqu'un pour les dénicher et les emporter. Désespérée, elle prit la décision de faire son nid à l'extérieur de la ferme.

Elle prit le départ un après-midi de printemps sur le chemin de terre qui mène en haut de la colline. Elle avait mis un châle et une coiffe.

Quand elle arriva au sommet de la colline, au loin, elle aperçut un bois et se dit qu'elle y serait en sécurité.

Sophie Canétang volait très rarement : elle prit son élan, descendit en courant la pente en battant l'air avec son châle puis décolla pour de bon.

Son vol plané était de toute beauté après les premiers battements laborieux. Elle rasa le sommet des arbres jusqu'au moment où elle aperçut une clairière dans le bois où les arbres et les buissons étaient clairsemés.

Elle atterrit lourdement et se mit à chercher, cahin caha, un endroit bien sec pour se construire un nid. Son regard se posa sur une souche au milieu d'un massif de digitales. Mais elle eut la surprise de découvrir, assis sur la souche, un bel homme élégamment vêtu qui lisait son journal. Il avait des oreilles noires pointues et des moustaches rousses. – « Couac ? » lui demanda Sophie Canétang en penchant la tête et le bonnet de côté, « Couac ? »

Le bel homme leva les yeux de son journal et lui jeta un regard étonné. – « Madame, auriez-vous perdu votre chemin ? » lui demanda-t-il. Il avait une queue longue et touffue et s'était assis dessus car la souche était un peu humide. Sophie le trouva charmant et fort civil. Elle lui expliqua que non, elle n'était pas perdue mais essayait de trouver un lieu convenable et sec pour son nid.

– « Oh, vraiment ? Ça par exemple ! » lui répondit l'homme aux moustaches rousses en la regardant d'une drôle de façon. Il replia son journal et le mit dans sa poche de gilet. Sophie lui fit part de ses reproches contre la poule qui lui volait son rôle de mère. – « Mais naturellement ! Comme c'est intéressant ! Ah, si j'avais le loisir de rencontrer cette volaille, je lui montrerais comment s'occuper de ses affaires ! »

« Par contre, en ce qui concerne votre nid, pas de problème. J'ai un plein sac de plumes dans mon abri à bois. Aucun problème, personne ne passe par là. Vous pourrez couver vos œufs aussi longtemps qu'il vous plaira, » ajouta le bel homme à la longue queue touffue.

Il la guida vers une cabane très isolée et dans un état lamentable au milieu des digitales. Elle était construite en mottes de terre et d'herbe et deux seaux cassés, posés l'un sur l'autre, servaient de cheminée. – « C'est ma résidence d'été ; vous n'apprécieriez pas de la même manière mon terrier – pardon, ma maison d'hiver », lui dit-il avec hospitalité. À l'arrière de la maison, se trouvait un abri délabré fait en vieilles caisses à savon. Le monsieur, courtoisement, lui ouvrit la porte et la fit entrer.

Le hangar était plein de plumes jusqu'à ras-bord, au point que c'en était presque étouffant ; mais il était confortable et vraiment douillet.

Sophie Canétang fut sidérée par la quantité incroyable de plumes mais comme le lieu était très confortable, elle s'y fit un nid sans aucune difficulté.

Quand elle ressortit, le gentilhomme aux moustaches rousses était assis sur une bûche et lisait son journal – enfin, il le tenait grand ouvert mais son regard était fixé sur Sophie. Il était tellement poli qu'il lui donna l'impression de la laisser repartir chez elle pour la nuit à regret. Il lui promit de prendre grand soin de son nid jusqu'à son retour le lendemain. Il affirma qu'il adorait les œufs et les canetons et qu'il était terriblement fier d'abriter une si belle couvée dans sa remise.

Et c'est ainsi que Sophie Canétang revint tous les après-midis et pondit neuf œufs dans le nid. Leur coquille était d'un blanc verdâtre et ils étaient très gros. Notre rusé personnage leur vouait une grande admiration et les retournait dans tous les sens quand Sophie était absente ; il les comptait et recomptait sans cesse. Un jour Sophie lui annonça enfin qu'elle commencerait à couver ses oeufs le lendemain, – « et j'apporterai sans faute un sac de graines pour ne pas avoir besoin de quitter mon nid avant la fin, pour que mes œufs n'attrapent pas froid, » rajouta-t-elle consciencieusement.

-- « Madame, je vous en prie, ne vous chargez pas d'un sac, je vous fournirai en avoine. Mais avant de commencer cette corvée, j'ai l'intention de vous faire un cadeau : nous allons nous offrir un festin juste pour nous deux ! Auriez-vous l'amabilité de me rapporter quelques herbes de votre potager pour préparer une savoureuse omelette ? Il me faudrait de la sauge et du thym, de la menthe et deux oignons et un peu de persil. Je fournirai le lard pour la farce, pardon le lard pour l'omelette » ajouta notre homme aux moustaches rousses, si accueillant.

Sophie Canétang était tellement naïve qu'elle ne s'étonna même pas en entendant sauge et oignons, elle n'eut aucun soupçon. Elle s'en fut faire le tour du potager pour arracher des brins d'herbes fines nécessaires à la farce de canard rôti.

Puis elle pénétra en se dandinant dans la cuisine où elle prit deux oignons dans un panier. En sortant, elle croisa Kep le colley qui lui demanda : – « Que vas-tu donc faire avec ces oignons ? Et où pars-tu donc l'après-midi toute seule, Sophie Canétang ? » Sophie était tellement respectueuse de l'autorité du chien de garde qu'elle lui raconta toute l'histoire, du début à la fin. Le colley l'écouta attentivement en penchant la tête de côté. Il fit la grimace quand elle décrivit le monsieur si bien élevé avec ses moustaches rousses.

Il lui posa plusieurs questions sur le bois, la maison et l'abri pour connaître leur situation précise. Puis il ressortit et descendit au trot jusqu'au village chercher deux chiots de chasse dressés à poursuivre les renards, qui faisaient leur ronde avec le boucher.

Quant à Sophie, elle remontait le sentier de la colline une dernière fois avant la couvaison ; il faisait un temps splendide. Elle était lourdement chargée des herbes et des oignons dans son sac à main. Elle prit son vol et atterrit près de la maison du gentilhomme à la longue queue touffue.

Il était assis sur une buche et reniflait de droite à gauche ; il surveillait le bois d'un air inquiet. Quand Sophie arriva il sursauta et bondit. – Entrez chez moi dès que vous en avez terminé avec vos œufs. Donnez-moi les fines herbes pour l'omelette. Dépêchez-vous ! » Il parlait d'un ton brusque. Il ne s'était jamais adressé à Sophie Canétang sur ce ton. Elle était surprise et se sentit mal à l'aise.

Pendant qu'elle était à l'intérieur de la cabane, elle entendit des bruits de pattes à l'arrière de la remise. Quelqu'un renifla et passa son museau noir sous la porte puis ferma le loquet. Sophie prit peur.

Quelques instants plus tard, elle entendit des bruits effrayants, aboiements et hurlements, cris et grognements, grondements et glapissements. Et l'on n'entendit plus jamais parler de ce gentilhomme aux moustaches rousses. Finalement Kep ouvrit la porte de la remise et laissa sortir Sophie Canétang.

Malheureusement les jeunes chiots se précipitèrent à l'intérieur et gobèrent tous les œufs avant qu'il puisse les en empêcher. Il avait été mordu à l'oreille et les chiots boitaient l'un et l'autre.

Ils escortèrent Sophie Canétang jusqu'à la ferme. Elle pleurait à chaudes larmes la perte de ses œufs.

Elle pondit une autre couvée au mois de juin et on l'autorisa à les couver toute seule mais seuls quatre canetons virent le jour. Sophie Canétang affirma que c'était à cause de son état nerveux après les événements, mais elle avait toujours été une mauvaise couveuse.

C'était un des contes de Beatrix Potter, dédié aux élèves de CP de l'école du Breuil, à leur maitresse et à leur cour de récréation accueillante.

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